Vision personnelle · · 4 min de lecture

Cette performance qui épuise

On parle beaucoup de performance. Mais rarement de ce qu’elle nous coûte, à force d’être poursuivie sans pause. Cet article questionne ce réflexe de produire, d’optimiser, de prouver. Et invite à réinterroger le rythme, le sens, la place laissée au vivant.

Cette performance qui épuise

On la célèbre partout.
La performance.
Ce mot qui claque comme une promesse,
sans jamais en préciser le prix.

Efficacité. Efficience.
Le Graal moderne.
Brandie au bureau, sur les réseaux,
dans nos vies intimes.
Être performant, la preuve qu'on existe,
qu'on compte.
Peu à peu, ce qu’on fait prend toute la place.
Et ce qu’on est devient une variable d’ajustement,
repoussée derrière l’urgence de produire.
Comme si la seule manière d’avoir de la valeur était de produire.
Produire quelque chose de visible,
de quantifiable, d’immédiatement utile.
Sans cela, pas de place, pas de reconnaissance.

C’est dans cette logique que tout commence.
Avec l’idée qu’il faut prouver sa valeur, chaque jour.
Avec des résultats. Des signes visibles.

La formule semble simple.

Performance = Efficacité (atteindre les objectifs) + Efficience (les faire bien, vite, avec moins).

Une équation séduisante.
Rassurante dans sa logique apparente.
Elle semble neutre, presque scientifique.
Tellement limpide
qu'on ne songe plus à la remettre en cause.

Alors on se lance.
Pied au plancher.
À l’assaut du mieux.
Du plus. Du visible.
On s’aligne, sans s’interroger.
Parce que tout le monde fait pareil.

Quand l'exceptionnel devient la norme.
Au début, ce sont des efforts ponctuels.
Une période intense.
Un sursaut pour livrer à temps.
Puis cela devient structurel.
Plus de croissance. Plus de projets.
Plus de présence. Plus de visibilité.
La cadence s’accélère, s’intensifie.
Et le piège se referme sans fracas.
Silencieusement.

Ce rythme, d'abord exceptionnel,
s’installe dans le tissu du quotidien.
Il colonise nos agendas, nos nuits, nos pensées.
Jusqu’à devenir une évidence.
Une normalité essoufflante,
qui pourtant ne choque plus.
Parce qu’on s’y est fait.
Parce qu’on a oublié qu’un autre rythme était possible.

Et cette normalité commence à dicter sa loi :
être toujours joignable,
toujours en train de produire,
toujours à jour.

Qui oserait encore en contester le bien-fondé ?

Ne jamais s'arrêter.
Dans ce monde-là,
dire "non" devient un luxe inabordable.
Dire "stop" ? Une anomalie.
On avance. Tête baissée.
Pris dans l’obligation silencieuse
d’être sans cesse en action,
comme si s’arrêter menaçait l’équilibre de tout le système.

On finit par confondre mouvement et direction,
vitesse et progression.
Grisé par la dynamique,
on oublie de regarder si elle mène quelque part.

Ce qui devait être un outil devient un automatisme.
On performe par réflexe.
On produit sans pause.
Et chaque pause devient culpabilité.

Sous le vernis, une fatigue.
Mais elle ne se montre pas tout de suite.
Elle s’installe, insidieuse,
comme un voile qui brouille ce qu’on ressent,
sans qu’on sache dire pourquoi.
Ce n’est pas la fatigue qui suit un effort accompli,
celle qu’on connaît bien, celle qui repose.
C’est autre chose.
Un épuisement diffus, sans nom précis,
mais toujours là.
Une lassitude existentielle.

Elle ne fait pas mal. Elle ronge.
Elle ne crie pas. Elle étouffe doucement.
Un brouillard qui s'épaissi,
qui s’insinue partout.
Et qu’on préfère appeler "période chargée",
"petit coup de mou".

On s’y adapte.
On l’habille d’habitudes.
On la déguise en productivité.

Mais quelque chose commence à se fissurer.
On tient, mais on n’habite plus ce que l’on fait.

Se perdre dans le viseur de la performance.
Alors vient le moment du flou.
Le rythme se maintient,
mais le sens se dissout.
On court. Oui.
Mais vers quoi ?
Et pour qui ? Pour quoi ?

Plutôt que d’affronter ce vide,
on le meuble d’urgences.
On remplit. On répond.
On optimise.
On joue à celui qui sait, qui gère, qui tient.
Petit à petit, le rôle s’impose.
On continue à faire.
Mais sans se reconnaître dans ce qu’on fait.
Et un jour, on ne sait plus très bien
ce qui tient encore debout : soi, ou le personnage.

Et derrière cette agitation,
une question que l’on s’interdit,
mais qui est présente :
Est-ce vraiment ça, ma vie ?

Et puis ça craque.
Pas toujours bruyamment.
Parfois par petites fissures
un sommeil erratique, une perte d’envie,
une impatience sans objet.
Parfois brutalement.
Le corps dit non.
Le cœur aussi.

On appelle ça burn-out.
Crise. Dépression.
Mais avant les mots, il y avait déjà des signes.
Des alertes que l’on a réprimées.
Parce que performer semblait plus urgent que ressentir.

Ce n’est pas une faille.
C’est une conséquence.
Le signal d’alarme d’un corps
qui a longtemps tenu malgré tout,
et qui finit par réclamer qu’on l’écoute enfin.

Comment ne pas en arriver là ?

Il ne s’agit pas de chercher une sortie de secours.
Ni d’inventer une solution de plus.
Plutôt d’un arrêt. Vrai. Bref. Tranché.
Un moment où tu regardes en face ce que tu vis, sans détour, sans analyse.
Et tu te demandes : est-ce encore tenable ?

Voir ce qu'on a désappris à regarder.
Entendre ce qui, depuis longtemps, se dit en sourdine.
Ressentir sans devoir tout comprendre.
Juste accueillir ce qui est là, tel que c’est.

Alors une autre question s’impose,
discrète mais persistante :
À quoi, à qui, sert vraiment cette performance qu’on poursuit ?

Est-elle choisie ? Ou subie ?
À quel regard, à quelle attente ?
Et qu’est-ce que ça nous coûte, à force de vouloir bien faire ?

Reconsidérer ce qu’on appelle trop vite « paresse ».
Et si faire moins, c’était aussi faire mieux ?
Créer du vide, non pour se reposer, mais pour respirer.
Refuser ce qui disperse. Ce qui consume.
Ce qui éloigne de soi.

Revenir à l’essentiel.
Non pas en théorie. Dans les gestes.
Ce qui tient. Ce qui soutient.
Ce qui fait du bien sans bruit.
Pas besoin d’un grand bouleversement.
Juste retrouver le fil de ce qui compte.

Nos journées ont-elles encore du relief ?
Ou sont-elles devenues une suite de livrables ?
Ce que nous tenons à bout de bras,
nous tient-il encore debout ?

Faire autrement, un peu. Mais vraiment.
Un réajustement à portée de main.
Un geste qui change un peu la journée.
Pas spectaculaire.
Juste assez pour remettre du vivant dans l’ordinaire.
Un geste pour tenir mieux.
Pour rester entier dans ce que nous faisons.
Juste ça, parfois, suffit à déplacer le poids du monde.

La performance n’est pas l’ennemi.
Ce qui épuise, c’est son détournement.
Lorsqu’elle devient un masque.
Un réflexe. Un camouflage.

Une performance juste est une traduction de notre vitalité.
Pas une fuite hors de soi.
Pas une armure contre le doute.

Reprendre la main,
ce n’est pas nécessairement ralentir.
C’est réorienter.
Choisir ce à quoi l’on consacre son énergie.
Donner du poids à ce qui en mérite.

Et parfois, accepter de desserrer un peu l’armure.
Pas pour se montrer.
Mais pour ne plus s’oublier.

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